Dossier : L’axe Pékin-Libreville se consolide

Une Economie
vendredi, 05 février 2016 18:09
Dossier : L’axe Pékin-Libreville se consolide

(Le Nouveau Gabon) - Les Chinois sont maîtres d’œuvre de nombreux projets d’infrastructures au Gabon. Ils ne se limitent plus à être à la manœuvre des chantiers les plus importants du pays comme ceux de la Can 2017 ; ils s’invitent dans le programme Graine qui vise le développement de l’agriculture ; ils gardent un œil sur le secteur minier et ont désormais la possibilité d’entrer au Gabon sans visa. Comment le pays de Xi Jinping (photo) tisse sa toile lentement, mais sûrement dans ce pays de l’Afrique centrale.

Le stade de l’Amitié sino-gabonaise encore appelé stade d’Agondjé à Libreville est sans doute l’une des réalisations chinoises les plus visibles du Gabon et qui donne fière allure à la capitale gabonaise. Comme un grain de beauté, ce joyau architectural accueille, non pas seulement les rencontres sportives, mais aussi les événements nationaux et internationaux de grande envergure comme le New York Forum Africa et bien d’autres. Un stade de 40 000 places construit par l’entreprise chinoise Shanghai Construction Group pour un montant de 30 milliards de francs CFA (environ 46 millions d'euros). Construit en vue de la CAN 2012 (il a accueilli la finale), il a été inauguré le 10 novembre 2011 avec le match Gabon - Brésil (0-2).

Si ce stade a été baptisé stade de l’Amitié sino-gabonaise, c’était aussi pour magnifier le type de relations qu’entretiennent les deux pays depuis plus de 40 ans, car c’est en 2014 que le Gabon et la Chine ont célébré le 40e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Omar Bongo, le père de l’actuel président Ali Bongo, avait visité la Chine au moins dix fois en trois décennies. Octobre 1974, juin 1975, mai 1977, décembre 1978, Octobre 1983, février 1987, mai 1991, août 1996, septembre 2004 et novembre 2006. Quelques mois après son élection, Ali Bongo a été invité en Chine en avril 2010 pour l’exposition universelle de Shanghai. Récemment, le président gabonais s’est même amusé à créer un compte sur Sina Weibo, ce réseau social chinois qui compte plus de 400 millions d’utilisateurs en Chine. Pour la Présidence gabonaise, ce compte permettra « notamment de relayer les prises de parole du Chef de l’Etat, les événements clés de la vie économique gabonaise ainsi que les rencontres et les réalisations menées dans le cadre de la coopération sino-gabonaise ».

Plus de visa

Aujourd’hui, les fonctionnaires et les diplomates gabonais n’ont plus besoin de visas pour se rendre en Chine. Idem pour les fonctionnaires chinois qui se rendent au Gabon. La seule condition exigée étant la présentation d’un passeport diplomatique ou d’un passeport de service. Un accord à durée illimité portant suppression des visas pour les titulaires de ces passeports a été signé dans ce sens le 15 décembre 2015 à Libreville par le ministre gabonais des Affaires étrangères, Emmanuel Issoze Ngondet et l’ambassadeur de Chine au Gabon, Sun Jiwen. Les détenteurs de ces passeports ne devront pas, par contre, y effectuer un séjour de plus de trente jours. Et les observateurs y voient déjà un moyen intelligent de multiplier les échanges entre les deux pays.

Le Gabon est ainsi le premier pays de l’Afrique centrale à avoir ce type d’accord avec la Chine. Dans le monde, ce type d’accord a déjà été signé avec le Bénin, le Brésil, la Corée du Sud, Djibouti, la France, la Guinée Conakry, le Sénégal, le Burkina Faso, la Côte d’ivoire, Cuba, l’Egypte, l’Israël, le Mali et la Russie. Ce genre d’entente s’étant également aux détenteurs des passeports ordinaires de trois pays africains à savoir l’Afrique du Sud, le Maroc et l’île Maurice.

Infrastructures

Cette ouverture entre sans doute dans la stratégie de la Chine pour avoir le maximum d’opportunités au Gabon. Elles sont nombreuses les entreprises chinoises qui gagnent des marchés dans le secteur des BTP au Gabon. Le futur stade de football de la ville d’Oyem (nord du Gabon), situé à 17 km de la ville, qui occupera une superficie de 27 000 m2 pour une capacité de 20 500 places et qui servira pour la Coupe d’Afrique des nations de football en 2017, est en construction en ce moment par la même société chinoise Shanghai Construction Group. A Port-Gentil, capitale économique, un stade d’une capacité de 20 000 places est également en chantier et placé aux mains de la société chinoise China State Construction Engineering Corp (CSCEC). A partir de juin 2016, trois centres de formation professionnelle de 20 hectares chacun seront construits au Gabon (à Libreville, à Franceville [Sud-est] et à Port-Gentil) par la société chinoise Avic International Gabon. La banque chinoise Eximbank a déjà accordé au Gabon un prêt de 60 milliards de FCFA à cet effet. Il y en a ainsi plusieurs exemples.

En général, note la Présidence de la République du Gabon, aujourd’hui, près d’une trentaine d’entreprises chinoises opèrent au Gabon dans des secteurs comme la santé, les BTP, les mines ou encore l’exploitation forestière, et la Chine est le premier client du Gabon, puisqu’elle reçoit 14% de ses exportations.

400 millions de dollars US d’échanges commerciaux

Lors de la Commission mixte Chine – Gabon qui s’est tenue le 28 janvier 2016 à Libreville au Gabon, le vice-ministre chinois au Commerce, Qiang Keming, a spécialement effectué le déplacement de Libreville pour l’occasion. Au terme de cette rencontre « la partie chinoise a approuvé 11 projets ayant bénéficié des prêts concessionnels ou des crédits d’acheteurs préférentiels, dont le montant total s’est élevé à plus de 8 milliards 800 millions de Yuans. Il a ensuite été procédé à la signature de deux accords de prêts en vue de la construction de deux stades à Port Gentil et Oyem, ainsi que de la route Forasol-Mbega à Port-Gentil », rapporte le quotidien gouvernemental l’Union dans son édition du 29 janvier. De même, l’on apprend lors de cette commission mixte que de 2006 à 2014, que le volume des échanges commerciaux entre la Chine et le Gabon est passé de 400 millions de dollars US à 2,04 milliards de dollars US.

De quoi réjouir les autorités publiques. Lors du récent forum Chine-Afrique organisé à Johannesburg en Afrique du Sud, Ali Bongo a salué cette coopération entre son pays et la Chine. « En effet, la Chine, à travers ses investissements, participe à la réalisation d’importants projets structurants pour le développement du Gabon. Cela en fait un partenaire privilégié dans la matérialisation du programme de développement, que je mets en œuvre depuis mon accession à la magistrature suprême. C’est pour moi l’occasion d’exprimer mon entière satisfaction quant au rôle joué par notre plateforme commune (commission mixte Chine-Gabon, ndlr) qui, au fil des années, s’est inscrite comme le catalyseur de réalisations concrètes qui font du partenariat sino-africain, un modèle de coopération Sud-Sud s’appuyant sur un mécanisme efficace de suivi, le FCSA devenu l’emblème de la solidarité sino-africaine », a déclaré le président gabonais.

De manière générale, Pékin ambitionne de porter les échanges commerciaux Chine-Afrique à 400 milliards de dollars à l’horizon 2020 et il y a fort à parier que le secteur des ressources naturelles occupera une place de choix. Déjà, le président Xi Jinping, au terme du récent forum Chine-Afrique, a promis 60 milliards de dollars pour les investissements en Afrique dans trois ans, dont cinq milliards à 0% d’intérêt. Et ce, qu’importe la situation actuelle de la Chine.

A la chasse des mines et de l’énergie

En effet, la Chine, dans son ambitieux élan, a besoin des ressources naturelles de l’Afrique pour construire et maintenir son leadership dans le monde. L’Afrique, riche en matières premières, est donc pour elle un bon risque. Dans leur livre blanc baptisé « La politique de la Chine à l'égard de l'Afrique » et publié le 04 décembre 2015, les autorités de Pékin s’engagent d’ailleurs au point 06 d’approfondir la coopération Chine-Afrique en matière de ressources naturelles et d'énergie. Et ce : « conformément aux principes de la coopération gagnant-gagnant et du développement vert, bas carbone et durable ». Ils s’engagement également à « élargir et approfondir la coopération mutuellement bénéfique entre la Chine et l'Afrique dans les domaines des ressources naturelles et de l'énergie, aider les pays africains à renforcer les capacités de prospection, d'exploration et de transformation des ressources naturelles et des énergies, augmenter la valeur ajoutée des produits primaires, accroître l'emploi et les revenus en devises étrangères sur place, et transformer la dotation en ressources naturelles et en énergie en fruits du développement durable qui bénéficient à la population. Innover les modes de coopération en matière de ressources naturelles et d'énergies, étendre la coopération sur l'ensemble de la chaîne industrielle dans le domaine de l'énergie et des mines ». La trajectoire est donc définie.

Stabilité dans la crise et un œil sur le secteur minier

Face à la conjoncture économique de la Chine, qui se traduit également par une baisse des importations des matières premières africaines et la chute du yuan, l’ambassadeur de la Chine au Gabon, S.E. Sun Jiwen, avait invité les opérateurs économiques et les officiels gabonais en septembre 2015 pour les rassurer que malgré la situation de son pays, la Chine va maintenir la stabilité de ses relations avec le Gabon. Pas question donc de ralentir les réalisations et ambitions de la Chine au Gabon. « Bien au contraire, elles continueront sur la voie de la stabilité », a-t-il rassuré.

Le secteur minier gabonais contribue à 5% du PIB gabonais d’après le dernier rapport du Comité ITIE qui date de 2010. Le pays regorge d’importantes ressources minières : manganèse, fer, or, diamant, argent, plomb zinc, ou encore barytine, dont la majeure partie n’est pas encore exploitée. Le Comité ITIE affirme dans son rapport 2010 que le Gabon est d’ailleurs le deuxième producteur mondial de manganèse exploité (95% destinés aux industries sidérurgiques) dans l’Est du pays à Moanda par la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog). La production pour l’année 2010 a atteint 3,2 millions de tonnes contre 0,6 millions de tonne en 2009.

De nombreux experts s’accordent à dire que cette production est vendue aux Chinois et soutiennent que les Français de Comilog disposent d’ailleurs de deux usines de transformation dans la province de Guangzhou en Chine.

Le manganèse qui a glissé entre les mains

Si depuis 1953, Comilog exploite le manganèse à l’état brut, la situation va progressivement changer. Car en juin 2015, le Complexe métallurgique de Moanda (CMM), a été inauguré pour la transformation du minerai de manganèse. Cette mine visait une production de 3,8 millions de tonnes à la fin de l’année 2015. L’Etat gabonais est actionnaire du CMM à hauteur de 40%. Le groupe français Eramet un investi 230 millions d’euros à l’occasion.

Autre futur producteur de manganèse, la joint-venture sino-gabonaise « La Compagnie Industrielle et Commerciale des Mines de Huazhou ». Elle avait obtenu la concession d’exploitation d’un autre gisement de manganèse situé dans les montagnes de Bembele à 36 km de la ville de Ndjolé. En 2008, l’entreprise étatique chinoise CITIC (China International Trust and Investment Corporation) avait racheté 51% des actions du consortium. Dans un exposé présenté en 2015 par ESSONO ONDO, coordonnateur des programmes à BrainForest, l’on apprenait que CICMH ne lancera officiellement l'exploitation du manganèse que si un accord tripartite Etat-COMILOG-CITIC est trouvé pour assurer le transport du minerai. D’après lui, CICMH est également en train de construire une usine à Ndjolé où 50 % de la production minérale sera transformée tandis que le reste de la production sera traité dans des usines en Chine. Le projet du gisement des montagnes de Bembele nécessite un investissement de 40 milliards de FCfa, une somme qui aurait déjà été prêtée à la joint-venture à un taux de 6,5%.

Il faut tout de même noter que les Chinois ont parfois essuyé des revers dans ce secteur minier. En décembre 2011, le Gabon avait résilié la convention minière dont bénéficiait la Compagnie minière de Belinga (Comibel), filiale à 75 % de la China Machinery Engineering Corporation (CMEC). Depuis janvier 2014, l'État gabonais, qui a définitivement repris les 75% de la Comibel, a le contrôle du projet. Ceci après que l’Etat ait remboursé à ses partenaires chinois« les frais relatifs aux travaux et études effectivement réalisés par ou pour le compte de la Comibel » dont le montant n’a pas été rendu public. Le projet, qu’Omar Bongo appelait « le projet du siècle », au vu du vaste gisement en place, prévoyait un investissement colossal de 1600 milliards de FCfa pour la construction de 560 km de chemin de fer entre Boué et le gisement, mais aussi pour la construction d’un port en eau profonde destiné à l’évacuation du minerai au cap Santa-Clara, entre autres infrastructures.

Quelques gouttes de pétrole

Ces quelques exemples montrent la détermination de la Chine à avoir des implantations et des parts de marché au Gabon. Les Chinois sont en effet actifs dans plusieurs domaines de l’économie gabonaise, même si ils font encore pâle figure dans le domaine du pétrole avec juste deux sociétés (Sinopec et Sino Gabon) devant les géants comme les Français avec trois sociétés (Total, Perenco, Maurel et Prom) ou devant les Américains avec sept sociétés (Amerada Hess, Anadarko, Forest Oil, Marathon, Transworld, Vaalco et Vanco).

Qu’à cela ne tienne, Pékin ambitionne de porter les échanges commerciaux Chine-Afrique à 400 milliards de dollars à l’horizon 2020. Au vu de ce qui précède, on peut déjà parier que le Gabon aura une part importante de ce pactole.

Beaugas-Orain Djoyum

 
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