(Le Nouveau Gabon) - La BDEAC dont la mission est le financement du développement de la sous-région fait face à un gros problème de refinancement de ses emprunts par la Banque centrale (Beac). Entre contraintes règlementaires, structurelles et humaines... les chefs d’État de la Cemac qui avaient instruit la Beac d’accompagner la refonte de la BDEAC devront fixer un nouveau cap.
Le dossier était à l’ordre du jour de la réunion extraordinaire des ministres des Finances de la sous-région, le 19 novembre dernier, lors d’une rencontre à huis clos. Dans la presse camerounaise, il est simplement indiqué que « le financement des infrastructures communautaires a préoccupé » sans plus de détails.
Mais derrière ces termes simples, les arbitrages à faire sont complexes. « Il est clair que la situation préoccupe et on se demande s’il n’y a pas derrière ce problème structurel, un problème de personne », a confié à l’Agence Ecofin, un haut responsable de la Cemac. La Beac estime en effet qu’il est devenu risqué pour elle de continuer de soutenir sans contrôle la BDEAC. Elle évoque pour cela, plusieurs raisons.
Des contraintes majeures au soutien de la BDEAC par la BEAC
La première est d’ordre juridique. Selon des sources contactées au sein de l’institution d’émission et de contrôle de la monnaie, en sa qualité de premier actionnaire de la BDEAC (33,8% des parts), elle devrait ouvrir un compte courant associé d’un montant de 240 milliards FCFA. Cela a été fait, mais il reste un reliquat de 120 milliards FCFA qui est exigé par la banque de développement. Son président a donc sollicité la Beac pour récupérer ce reste à approvisionner.
Mais le conseil d’administration de la Beac s’est retrouvé contraint de refuser de faire ce décaissement en juillet 2019. L’argument évoqué est que cet engagement doit se faire, selon les textes, dans la mesure des fonds propres disponibles. Or justement, les fonds propres de la Banque centrale ont fortement diminué, soit de 58% sur la seule année 2018.
Une des raisons de cette situation est que la Beac a dû comptabiliser comme perte, un montant de 220 milliards FCFA à cause du changement de méthode de calcul des créances sur les États. Dans le même temps, les résultats annuels de l’exercice 2018 révèlent que le portefeuille d’investissement de la Banque centrale est soit arrivé à échéance, soit cédé sur le marché. Dans les deux cas, les fonds propres de la Beac ne peuvent plus bénéficier des plus-values associées à ces investissements.
À fin septembre 2019, les fonds propres « libres » de l’institution étaient de seulement 140 milliards FCFA. Difficile, dans ce contexte, de soutenir sans réserve la BDEAC à hauteur des montants souhaités, surtout que la Beac a d’autres engagements qui nécessitent la somme de 80 milliards FCFA au moins. Parmi ces projets, on peut citer l’impression de la nouvelle gamme de billets sécurisés pour la sous-région.
La deuxième contrainte provient du programme de stabilisation mis en œuvre avec le Fonds monétaire international, sur l’aval des chefs d’État. L’institution de surveillance multilatérale estime, dans son dernier rapport sur la Cemac, que l’exposition de la Beac sur la BDEAC est excessive alors qu’il n’appartient pas à une Banque centrale de soutenir une institution de financement du développement.
Elle a donc suggéré dans ses recommandations que la Beac se désengage de la BDEAC plutôt que d’accroître son exposition. En plus de cela, l’institution de Bretton Woods estime que tout refinancement accordé à la Beac au profit de la BDEAC pour des projets publics constitue des avances monétaires aux États. Une chose qui est pourtant interdite désormais à la Banque centrale.
Une solution de compromis, mais qui comporte des défis
Malgré les contraintes constatées plus haut, la Banque centrale a trouvé un compromis lui permettant surtout d’être en conformité avec les exigences du FMI. « Les chefs d’État ont instruit la Beac d’accompagner la transformation structurelle de la BDEAC. Cette instruction a été acceptée donc la Banque centrale devait s’exécuter », explique une source proche du dossier.
Il a été ainsi retenu que la banque de développement communautaire puisse se refinancer sur la marge de 150 milliards disponibles dans le cadre de son intervention sur le marché monétaire. Mais le recours à ce mécanisme comporte des aspects qui peuvent ne pas satisfaire le management actuel de la BDEAC. Il implique, par exemple, que la Banque centrale ait un regard sur la gestion de la BDEAC, une situation qui n’est pas tolérée. À la Beac, on explique qu’il y a un besoin d’avoir de la visibilité sur les projets de la BDEAC.
L’argument majeur est que dès 2019, la comptabilisation des provisions se fera sous la norme IFRS9. Elle est plus stricte et rigoureuse en matière de constatation des pertes. Une façon de demander à la BDEAC d’être plus transparente et plus efficiente. La situation crée un profond malaise au sein de la banque de développement.
Au cours de l’année 2019, elle s’est inscrite dans la dynamique de trouver des solutions alternatives. Elle a signé de nouvelles alliances et prévoit de se faire noter dès 2020, pour avoir la possibilité d’aller sur les marchés des capitaux situés au-delà de la Cemac. Mais au final, il reviendra aux chefs d’État de trancher sur cette affaire. Les deux institutions ayant pour actionnaires les gouvernements membres de la communauté, ceux-ci peuvent donner le cap à suivre.
Les pays à suivre dans ce dossier sont le Gabon et le Tchad, qui empruntent le plus difficilement (avec des taux élevés) sur le marché régional. Au total, ce sont 155 milliards FCFA de projets au profit des deux pays qui attendent de trouver une solution.
Idriss Linge