(Le Nouveau Gabon) - États financiers de la banque, apport de la banque dans le développement de l’espace communautaire, intégration dans le capital d’Afreximbank, coopération avec le Fonds saoudien pour le développement… Le président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), Fortunato Ofa Mbo Nchama, apporte des précisions sur tous ces sujets dans un entretien accordé à la chaine de télévision Afrique Media.
Afrique Media : Au terme du Conseil d’administration du 9 août tenu à Brazzaville, il en ressort que la BDEAC affiche d’excellents indicateurs de gestion. Qu’en est-il exactement ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Vous savez, la BDEAC revient d’une situation difficile. À notre arrivée en début 2017, la situation de la banque était critique. Je n’oublierai jamais, lors de mon installation, l’interpellation d’un ministre des Finances de la sous-région qui avait demandé aux autres ministres de se montrer réalistes. C’est-à-dire qu’au lieu d’installer le nouveau président, ne valait-il pas mieux que l’on prononçât la liquidation de l’institution. Ce qui résumait un peu la situation de la banque à cette période-là. Tout aussi critique était la trésorerie de la banque qui affichait à peine deux milliards de FCFA. Ce qui est le minimum statutaire. Le déséquilibre entre les ressources et les emplois était de plus de 435 milliards de FCFA. C’est-à-dire que pour que la BDEAC puisse répondre aux besoins des opérateurs, elle avait besoin de 435 milliards de FCFA, mais ne disposait que de 2 milliards de FCFA dans ses caisses. Donc la situation était critique tant au niveau interne qu’en ce qui est de la gouvernance.
C’est la raison pour laquelle on a engagé un vaste programme de réformes qui a touché tous les aspects. Le dernier exercice avant notre arrivée avait été clôturé avec une perte de 9 milliards de FCFA. Au terme de notre première année d’exercice, on a pu remonter la pente et afficher un peu plus de 3,5 milliards de FCFA de bénéfice net. Et au terme de l’exercice 2018, ce bénéfice a culminé à plus de 12 milliards de FCFA.
S’agissant de la liquidité de la banque, de sa solvabilité, des fonds propres ou encore du produit net bancaire, tous ces autres indicateurs qui étaient au plus bas affichent déjà une projection très positive. Les administrateurs ont d’ailleurs pensé, lorsqu’ils ont vu les indicateurs de la banque en 2018 à Malabo, que c’était un phénomène isolé. Mais quand ils se sont rendu compte que la tendance haussière des indicateurs se poursuit, grâce aux réformes que nous sommes en train de mettre en place, ils étaient contents parce que la banque tient la route et répond déjà aux souhaits des chefs d’État qui avaient créé cette institution.
Afrique Média : Peut-on savoir pourquoi un correctif budgétaire a été mis sur pied au terme de cette session du Conseil d’administration ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Comme je viens de le dire, nous avons engagé un vaste programme de réformes pour que la BDEAC puisse fonctionner suivant les standards internationaux. Et ce package de réformes a été adopté par l’ensemble des organes de décision au début de cette année. Quand on avait commencé, le budget de l’exercice avait déjà été approuvé. Or, au niveau des organes, on a créé de nouvelles instances. Par exemple, on a désormais deux types de ministres qui siègent au niveau de l’assemblée générale : les ministres des Finances et les ministres en charge des questions de développement. Parce qu’avant, ne siégeaient que les ministres des Finances. Et puis on a créé un comité de crédit qui n’existait pas, on a renforcé le comité d’audit avec des administrateurs indépendants ; on a créé un comité d’éthique et de déontologie. Pour améliorer la visibilité et la connaissance de l’institution auprès des populations, on a décidé que les réunions des instances soient tournantes au niveau de chaque État. Ce qui suppose que le coût de ces déplacements doit être intégré dans le budget. Et parallèlement, on devait prendre des participations au niveau de certaines institutions financières et nous venions de faire une évaluation des compétences au niveau de la banque. Ce qui a été assorti d’un plan de formation dont le coût a été intégré dans le budget parce que nous devons déjà le mettre en place cette année. Voilà donc l’ensemble des éléments qui ont permis qu’on aille au Conseil d’administration afin d’avoir les autorisations nécessaires pour la réalisation de ces dépenses.
Afrique Media : La banque s’engage au cœur de l’activité économique de la sous-région et intègre le capital d’Afreximbank. Que gagnent les opérateurs économiques de la sous-région et la banque à intégrer le capital de cette institution ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Plusieurs raisons ont contribué à l’intégration de la BDEAC dans le capital d’Afreximbank. On a évoqué plus haut la situation dans laquelle se trouvait la BDEAC au départ. Du fait de son niveau critique, cela faisait qu’aucune institution financière au monde n’acceptait de travailler avec la BDEAC. Nous avons dû faire un travail énorme de recherches de partenariats pour leur expliquer la nouvelle vision de la BDEAC, leur exposer notre plan stratégique et quelle approche allions-nous adopter pour mettre tout cela en place. Et dans le cas d’Afreximbank, ils ont cru en nous bien qu’il y ait eu des forces qui pensaient le contraire. C’est ainsi que nous avons conclu un accord de coopération qui porte entre autres sur le renforcement des capitaux. Dans ce cadre, nous avons déjà formé beaucoup de cadres. Toujours dans le cadre de cet accord, il était question d’avoir des financements et la BDEAC a eu 120 millions de dollars auprès d’Afreximbank. Par ailleurs, nous avons signé avec Afreximbank, un accord de cofinancement des projets dans la zone Cemac pour 500 millions d’euros. Cela signifie que même les projets qui nécessitent une grande consommation de ressources financières, et dont nous ne pouvions pas assurer seul le financement, seront mis en place avec cet accord. Mais il y a à côté de cela, des raisons de rentabilité. Afreximbank est une banque des 54 États du continent dont 50 en sont membres. Les plus grandes institutions à l’instar de la BAD, y sont actionnaires. C’est une institution qui distribue les bénéfices chaque année. Ce qui veut dire que l’investissement que nous avons fait auprès d’Afreximbank va nous apporter de la rentabilité. Donc voilà les raisons qui nous ont poussés à entrer dans cette institution. Et faut-il le rappeler, cela est hautement stratégique pour la BDEAC afin qu’elle puisse consolider ses acquis.
Nous avons fait un tour au Moyen-Orient et nous avons discuté avec le Fonds saoudien pour le développement et nous avons été émerveillés par ce qu’ils font déjà dans d’autres parties de l’Afrique avec des microfinances. Parce que ces initiatives permettent aux populations d’améliorer leurs conditions de vie. Dans notre zone, le niveau minimal de financement des projets par la BDEAC était de 200 millions de FCFA. Dans le programme des réformes, ce niveau a été porté à 500 millions de FCFA. Or, la plus grande partie des opérateurs de la sous-région a besoin des financements qui se situent en dessous de ces 500 millions de FCFA. Il faut les assister, faire en sorte que les femmes en milieu rural puissent bénéficier d’appuis financiers ; que les jeunes qui sortent des grandes écoles et de l’université et qui créent des structures puissent bénéficier d’un accompagnement financier. C’est pourquoi nous avons négocié avec Agfund et décidé ensemble de créer cette microfinance dans la zone Cemac. Cette structure présente plusieurs avantages qui concernent le capital et la mise à disposition des crédits. Par exemple, c’est eux qui apportent le capital et mobilisent les fonds pour le financement des crédits des opérateurs. Et pour ce qui est des dividendes, ils ne sont pas redistribués. Tout ce qui est obtenu en termes de dividendes est réinvesti dans la sous-région. Pour nous, le développement n’est pas un terme abstrait ; il n’est réel que lorsque les conditions de vie des populations s’améliorent. On ne peut pas penser qu’on ne va financer que les grandes entreprises, les grands projets, les grandes structures et délaisser la population qui peine à trouver des appuis. Voilà pourquoi on a décidé de créer cette structure de microfinance qui va s’installer dans toute la sous-région.
Afrique Média : Quand tout ceci sera-t-il mis en place ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Selon le planning d’installation que nous avons mis en place avec notre partenaire, cette structure devrait être mise en place au bout des trois prochaines années dans les six pays de la Cemac. Au cours de l’année 2019, elle doit être installée dans deux pays ; en 2020 deux autres pays suivront et l’installation sera bouclée en 2021 avec les deux derniers États. Actuellement, on est en train d’étudier les aspects juridiques auprès de la Commission bancaire d’Afrique centrale pour avoir les autorisations nécessaires. C’est un projet qui devrait voir le jour dans les mois à venir.
Afrique Média : S’agissant de la prise de participation au capital d’Afreximbank peut-on savoir à combien elle va s’élever et quel va être son échéancier ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Effectivement, vous savez qu’on ne peut aller au Conseil d’administration sans chiffre. Nous avons déjà un chiffre qui a été autorisé. Mais avant d’y parvenir je dois vous dire que la prise de participation doit déjà être effective et nous avons déjà reçu d’Afreximbank les procédures à suivre pour matérialiser cette prise de participation. Nous pensons que cette année ce sera chose faite pour que l’année prochaine, la BDEAC soit un actionnaire de droit d’Afreximbank.
Afrique Média : Est-ce que cette prise de participation ne vise pas également à influencer les décisions au sein de ce groupe bancaire en faveur des opérateurs économiques d’Afrique centrale ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : C’est tout le sens de notre démarche et c’est la raison pour laquelle nous disons que c’est une prise de participation stratégique. Je vous ai dit que l’institution internationale qui a le plus appuyé le financement dans notre zone c’est Afreximbank ; d’abord en liquidité avec une mobilisation de 120 millions de dollars et en plus de cela, nous avons signé un accord pour cofinancer les projets dans notre sous-région pour plus de 300 milliards de FCFA soit 500 millions d’euros. Cela s’est fait lorsque nous n’avions que des relations de fraternité entre deux institutions. Mais maintenant, ayant acquis la qualité d’actionnaire, il n’y a aucun doute sur le fait que les interventions d’Afreximbank dans notre sous-région vont se renforcer. Et d’ailleurs, la branche qui coiffe l’Afrique centrale était basée à Abidjan et l’une des choses que nous avons négociées c’est la délocalisation de cette agence dans notre zone question d’être plus proche des opérateurs. Ce qui est déjà chose faite. Je crois que cette agence régionale sera basée au Cameroun. Donc on va gagner en intensité grâce à la coopération avec Afreximbank. Et je crois que notre sous-région ne peut qu’être gagnante dans cette coopération.
Afrique Média : La stratégie actuelle de la BDEAC en zone Cemac vise à mieux financer l’économie, mieux accompagner les opérateurs et les États. À combien estimez-vous vos engagements auprès des États de la sous-région ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Les interventions de la banque dans les projets de la sous-région sont substantielles ; mais j’aimerais les diviser en deux. Comme vous le savez, la BDEAC a un âge de plus de 40 ans. Si on prend depuis la création jusqu’en 2016, on va se rendre compte que le volume des financements des projets de la banque s’élève à 1000 milliards de FCFA. Et entre 2017 et 2019, les interventions sont de l’ordre de 450 milliards de FCFA. Ce qui veut dire qu’en trois ans, nous avons effectué 41% de tous les financements que la BDEAC a faits au cours des 14 derniers exercices. Donc parlant des financements actifs, on peut dire qu’ils représentent 450 milliards de FCFA injectés auprès des projets menés par les gouvernements de la sous-région.
Afrique Média : On a vu le financement de la BDEAC au niveau du nouveau terminal de l’aéroport international de Bata en Guinée équatoriale. Pourquoi ce projet-là et pas un autre ?
Fortunato Ofa Mbo Nchama : Nous n’avons pas accompagné que celui-là. Si vous vous souvenez, le Conseil d’administration qui l’a approuvé en a approuvé d’autres. Et puis, en Guinée équatoriale, il y avait en plus de l’aéroport, un projet de complexe agropastoral et les décaissements ont déjà été faits et le projet est en cours d’exécution. Pour le Gabon, on a financé la construction de 1000 logements. Au cours de ce même conseil d’administration, on a approuvé la réfection du CHU de Brazzaville ainsi que le financement d’une usine de fabrication de médicaments au Congo et au Cameroun on a approuvé la construction d’une ferme agricole, d’une école, d’un hôtel… C’est pour dire que nous intervenons un peu partout.
PcA avec Afrique Média