(Le Nouveau Gabon) - Expert en sécurité financière et analyste des politiques économiques, Mays Mouissi, analyse le projet de loi des finances du Gabon pour l’année 2016 et interpelle le gouvernement sur les urgences à prendre en compte pour faire face à la chute des cours du pétrole sur le marché international et à la baisse de la production pétrolière du pays.
LNG : Le projet de loi, portant budget du Gabon, pour l’exercice 2016, est fixé à 2626 milliards de FCfa contre 2665,2 milliards de FCfa pour l’année 2015, soit une baisse de 25 milliards de FCfa. Le gouvernement explique cela par la chute des prix du baril de pétrole sur le marché international. Suffisant comme explication d’après-vous ?
MM : Le Gabon est structurellement dépendant de son secteur pétrolier dont les revenus constituent environ 50% des recettes budgétaires de l’Etat. En un an, les cours du brut à l’international ont baissé de moitié. Par ailleurs, le pétrole gabonais est vendu sur les marchés avec une décote d’environ 5 $, ce qui diminue sa part de revenus pétroliers. Dans ce contexte, il est normal que loi de finances de 2016 anticipe un recul des ressources publiques. Je suis cependant surpris que la baisse annoncée s’élève seulement 25 milliards FCFA (soit à peine -1%). Cette prévision me paraît outrageusement optimiste, ne serait-ce qu’au plan mathématique. En effet, si le pétrole qui représente 50% du budget a son prix qui baisse de moitié, la baisse sous-jacente dans la loi de finances ne peut se limiter à 1%.
LNG : Comment évaluez-vous l’impact de cette chute des cours du pétrole sur l’économie gabonaise ?
MM : La chute des cours a un impact négatif aux plans économique, social et budgétaire. Ce schéma se reproduit à chaque fois que les cours du brut baissent fortement. En 58 ans d’exploitation pétrolière, le Gabon n’a malheureusement pas mis en place des instruments de résilience efficaces susceptibles de lui permettre d’absorber les chocs pétroliers exogènes sans perturber ses équilibres macro-économiques. Certes, il y a eu la création du Fonds souverain de la République gabonaise (FSRG), mais cet instrument n’est pas dimensionné pour limiter l’impact de la baisse des cours actuelle sur l’économie du Gabon. C’est l’occasion de rappeler que le décret n°005/2012/PR en son article 3 a fixé à 500 milliards FCFA le capital minimum du FSRG. A ce jour, la constitution de ce capital n’a toujours pas été réalisée intégralement, limitant de fait la capacité d’action du FSRG.
LNG : Avec l’augmentation récente des salaires, avec les élections prévues et avec les préparatifs de la Can 2017, on se serait attendu à une hausse du budget. Est-ce un message aux opérateurs économiques que l’Etat va trouver d’autres sources de recettes comme les taxes où autres impôts divers qui peuvent s’ajouter ?
MM : Les charges de l’Etat vont effectivement s’accroitre en 2016 en raison des éléments que vous évoquez. En règle générale, lorsque les ressources de l’Etat baissent et que les emplois demeurent à un niveau constant, trois possibilités s’offrent à lui : baisser les charges, augmenter le niveau des prélèvements et/ou recourir à l’emprunt.
Le relèvement des impôts risquerait d’affecter l’activité économique. Je conseillerais à l’Etat de réduire ses charges. Cela ne passe pas nécessairement par une suppression des emplois dans l’administration publique, une reforme conduisant à la suppression de certaines institutions dont je me permets de douter de l’utilité, peut être efficace.
LNG : Parlant de suspension, quelles sont les institutions auxquelles vous pensez et pourquoi ?
MM : Je demande de trouver des solutions alternatives pour réduire les charges de l'Etat. Je propose pour cela de supprimer certaines institutions et d'engager des réformes dans l'ordonnancement des dépenses publiques. Je pense par exemple qu'il faut supprimer le Sénat. Les dispositions de l'article 36 de la Constitution du Gabon donnent à l'Assemblée nationale et au Sénat exactement les mêmes missions : Voter la loi, consentir l'impôt et contrôler l'action du gouvernement. Un parlement monocaméral pourrait valablement assurer ces missions et permettrait d'économiser 20 milliards FCFA.
La valeur ajoutée du Conseil économique et social (CES) ne me parait pas de nature à conserver cette institution, du moins pour l'instant. Au-delà, l'Etat pourrait faire auditer l'administration pour identifier les structures qui chaque année bénéficient de ressources publiques alors même qu'elles sont obsolètes ou peu efficaces. Les résultats de cet audit permettraient à l'Etat d’alléger son mille-feuilles administratif tout en réalisant des économies budgétaires.
LNG : Dans ce budget en recul, l’on constate que les dépenses d’investissement se situent à 562,8 milliards de fCFA dont 382,1 milliards de fCFA au titre des projets bénéficiant de financements extérieurs. Est-ce forcément un danger de consacrer plus de la moitié de ses dépenses d’investissement sur des prêts et financements extérieurs ?
MM : Le recours à l’endettement peut s’avérer positif dès lors que le stock de dette reste à un niveau soutenable, que l’Etat emprunte à des taux raisonnables et que les ressources d’emprunts servent à financer des projets structurants. Dans le cas du Gabon, la dette s’est fortement accrue ces six dernières années passant de 23,1% du PIB en 2009 à 38,7% du PIB en 2015. Le stock de dette s’élève désormais à environ 3260 milliards FCFA. Les autorités gabonaises doivent veiller à infléchir la progression de l’endettement du pays pour éviter que la charge de la dette redevienne le principal poste de dépenses budgétaires comme ce fut le cas avant 2008. Il faut toujours se rappeler qu’une dette trop importante a pour effet de cannibaliser les ressources publiques avec pour conséquence principale la réduction des investissements.
LNG : Ce recul budgétaire due à la baisse des revenus du pétrole est-il de nature à modifier la nouvelle donne de gouvernance établie dès le 01er janvier 2015 qui est la Budgétisation par objectifs de programme ?
MM : La budgétisation par objectif de programme consiste à affecter des ressources budgétaires par programme à l’inverse de ce qui se faisait dans les lois de finance précédentes où les ressources étaient affectées par dépenses unitaires. Le recul budgétaire enregistré n’a pas d’effet sur la façon dont est préparé et modélisé le budget.
LNG : Un an après sa mise en œuvre, pensez-vous que cette Budgétisation par objectifs de programme a conduit les managers « à mieux communiquer avec leur ministre, à tenir une gestion transparente des ressources mise à leur disposition, à rendre des comptes sur les niveaux de performance atteints et sur la façon dont la dépense a été effectuée » comme le prévoyait à l’époque le ministre Christian Magnagna ?
MM : J’ignore si les managers communiquent mieux avec leur ministre. Je constate cependant que la transparence dans la gestion des ressources a été mise en cause par certains parlementaires appartenant pourtant au parti au pouvoir. La procédure budgétaire veut qu’une loi de règlement soit présentée au parlement l’année qui suit le vote du budget de l’Etat. Cette loi de règlement est souvent présentée tardivement, et parfois pas du tout, rendant ainsi illisible la mesure de l’effectivité et de l’efficacité de la dépense publique. Le gouvernement gagnerait à être plus transparent sur les questions budgétaires.
LNG : Avec la chute des prix du baril du pétrole sur le marché international, le Gabon a la volonté de diversifier son économie. Pensez-vous que les résultats de la diversification de l’économie avec des actions comme le programme Graine peuvent à moyen terme combler l’impact de la baisse des revenus pétroliers ?
MM : La diversification de l’économie que les autorités gabonaises tentent d’amorcer est encore très timide. Même s’il est vrai qu’au cours des quatre dernières années, le secteur hors pétrole a connu une croissance à deux chiffres tous les ans, la part des revenus pétroliers dans le budget de l’Etat reste prépondérante.
Le programme GRAINE vise à densifier la production agricole nationale tout en réduisant sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Le programme est certes ambitieux, mais il doit encore faire ses preuves. Lancé le 22 décembre 2014, Graine n’est à ce jour mis en œuvre que dans quatre provinces sur les neuf que compte le Gabon. Il serait illusoire de penser que ce programme puisse à lui seul combler la baisse des revenus pétroliers à moyen terme. Sur l’agriculture, je veux rappeler qu’en 2001 à Maputo (Mozambique), le Gabon à l’instar d’autres pays d’Afrique s’est engagé à consacrer 10% de ses ressources budgétaires au secteur agricole afin de créer les conditions de l’autosuffisance alimentaire. Dans la loi de finances 2016, les ressources affectées à l’agriculture et à l’élevage peinent à atteindre 3% du budget de l’Etat. Ce manque à gagner est préjudiciable à l’éclosion du secteur.
LNG : Qu’en est-il des retombées de l’interdiction de l’exportation des grumes ?
MM : C’est l’une des mesures phares prise en vue de diversifier l’économie du Gabon : la décision d’interdiction d’exportation de bois non-transformée afin de développer un tissu industriel local et de créer de la valeur ajoutée sur le territoire national. Ce fut une mesure de bon sens, je déplore simplement que les mesures d’accompagnement prises n’aient pas été à la hauteur de l’ambition de cette décision. Entre 2009 et 2014 le volume de bois transformé n’a cru que de 15%, ça laisse penser que tous le bois coupé n’est pas transformé.
LNG : Dans une récente chronique, vous indiquiez que la production pétrolière du Gabon pourrait tomber à 100 000 barils/jour dans moins de 10 ans. Quels pourraient être les conséquences et que pourraient faire les autorités pour limiter la dépendance pétrolière et éviter les dégâts sur son budget ?
MM : En l’absence de découverte majeure et si la tendance baissière qu’on observe se poursuivait, le Gabon ne produirait plus que 100 000 barils/jour dans une dizaine d’années. Si le pays n’engage pas une réelle diversification de son économie dans l’intervalle, cette baisse de production se traduira par de grands déséquilibres macro-économiques avec pour corollaire une crise sociale majeure.
Il est donc urgent que ceux qui assurent la gestion de l’Etat en prennent conscience. La diversification de l’économie est devenue indispensable et elle doit se faire maintenant. Des mesures fortes et concrètes doivent être prises pour booster encore plus l’industrie forestière qui a le mérite d’embaucher beaucoup de main d’œuvre. Le tourisme haut de gamme, l’agriculture et les services sont autant de domaines où le Gabon peut se spécialiser et créer de la valeur ajoutée.
Propos recueillis par Beaugas-Orain DJOYUM